Une expérimentation
dédaléenne de l’image
|
|
Depuis des siècles, l’espace tridimensionnel est
représenté principalement au moyen de la perspective
linéaire. Elle est dans nos images, dans notre
vocabulaire, dans nos caméras, dans nos logiciels
d’infographie. Vision
cyclopéenne,
partielle, conventionnelle, à partir d’un point de vue
unique au centre du monde, la perspective traditionnelle
est un carcan. Pourtant : |
« Une montagne vue
de face est ainsi, vue de côté elle est encore
ainsi, et de dos ainsi encore. À chaque point de vue
correspond un aspect différent. C’est ce qu’on entend
par : « la forme de la montagne telle qu’on la voit en
la regardant de tous côtés. » S’il en est ainsi, une
seule montagne réunit en elle l’aspect de plusieurs
dizaines ou centaines de montagnes. Se peut-il que nous
ne parvenions pas à saisir à fond tout ceci? »
Guo Xi, 1117,
Lin Ch’üan Kao Chih
(Le haut message des forêts et des
sources)
|
Ce qui est vu est perçu
sous de multiples aspects. L’observation est une action
en mouvement. Des variations constantes d’angles de vue
découlent de ce mouvement. Vision chaotique, le regard
se déploie dans l’espace et dans le temps, une
succession de lieux et de moments, une accumulation. Ces
voyages allongés dans l’image dérivent de
méthodes qui ne sont pas seulement des représentations
« de » l’espace, mais aussi des représentations « dans »
l’espace. |
Le Labyrinthe
oublié, 2016, graphite
sur papier dans un carnet de format concertina, 765cm X
50cm. |
L’expérience des images
issues des déplacements s’élabore dans des parcours où
le crayon et l’optique recueillent des formes instables,
imaginaires ou observables. En outre, l’analyse
expérimentale de l’image artistique, de sa
formation, sa présentation et sa perception,
se distingue par sa capacité à utiliser l’inattendu et
par son ouverture aux manipulations créatives.
Dans l’amalgame des multiples images, la fragmentation,
la distorsion et la transparence émergent. La confusion
des formes résultant du déplacement et des multiples
perspectives sont des compressions temporelles. Elles
montrent l’incohérence du temps dans un espace fixe.
|
« Tempus non est sine motu. » (Le
temps n'existe pas sans mouvement.)
Roger Bacon, 1267,
Opus Majus.
|
|
|
Descendant un escalier (Québec),
2017,
photographie numérique. |
23 vues sur un cuboctaèdre,
2016,
infographie 3D. |
L'optique est spatiale.
Libérées de la surface, les multi-perspectives
apparaissent dans l’holographie de synthèse. Des
centaines d’images correspondant à autant d’angles de
vue pour représenter un espace tridimensionnel. Cette
multiplicité permet de reconstituer la parallaxe du
mouvement observationnel. Devant ces hologrammes, les
déplacements de l’observateur initient
tridimensionnalité et cinétisme, synchronisations
spatiales et incohérences temporelles. Ce que l’on voit
d’ici est différent de ce que l’on voit de là. |
Tractatus Holographis,
2005,
deux angles de vue sur l’hologramme
de synthèse,
60cm X 40cm. |
Vieux livres et optique
diffractive, dessins inspirés de la peinture orientale,
catoptrique et anti-perspective, références obscures et
citations distantes, ces dispositifs
anachroniques sont des espaces qui combinent le
passé dans le présent et le présent dans le passé. Cette
pratique expérimentale reflète l’hétérochronie de la
recherche en histoire de l’art. Par ces structures
optiques et géométriques, par ces références historiques
et par leurs effets visuels, je crée ces images pour
visualiser les fragmentations, les intersections et les
méandres d’espaces et de temps, réels et imaginaires.
|
« Les fées + les faits = l’effet »
Louis Scutenaire
(1984)Mes
Inscriptions 1945-1963.
|
La ville et le paysage
sont des dédales, des méandres chaotiques que l’image
ordonnée ne peut représenter que dans la réduction et
l’éphémère. Mes
images sont soumises aux exigences et aux aléas
d’expérimentations supportant une conception
labyrinthique de l’espace affectée par la turbulence des
mouvements du regard, de la marche et de la perception
chaotique. Agencements de vides et de pleins, ombres et
lumières, lignes et nuées, obstacles et contournements,
d’une vision dédaléenne de l’espace, libéré d’une
géométrie égocentrique - le
regard erre.
|
|
Dédale,
2019,
encre sur bois,
125cm X 123cm. |
Jacques Desbiens
Juillet 2019 |
|